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FIQ (Fédération Interprofessionnelle de la santé du Québec)

Dis-moi Maman, ça veut dire quoi être #payée au féminin?

Dis-moi Maman, ça veut dire quoi être #payée au féminin?

C’est une façon de dénoncer : au Québec, les emplois traditionnellement occupés par les femmes n’ont pas la même rémunération que ceux détenus par les hommes. Eh oui! la discrimination salariale est bien réelle chez nous, ma fille, même en 2021.

Une étude de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) démontre qu’il existe un écart salarial de 24 % entre les emplois à majorité masculine des sociétés d’État (Hydro-Québec, Loto-Québec, etc.) et les emplois à majorité féminine de l’administration publique (réseau de la santé et des services sociaux, éducation, fonction publique). Ça peut sembler compliqué, ma fille, mais en résumé, ça veut dire que la majorité des femmes qui sont employées par l’État sont sous-payées quand on les compare avec leurs collègues masculins. Juste parce qu’elles travaillent dans des sous-secteurs où les femmes sont majoritaires!

Comment l’État, en 2021, peut-il endosser cet écart salarial au sein même de ses structures? Pire encore, il permet que l’écart continue de se creuser. Depuis les années 2000, les employées de l’administration publique sont les seules à avoir connu une baisse systématique de leur pouvoir d’achat, les augmentations salariales consenties se situant constamment sous la barre de l’Indice des prix à la consommation (IPC). Ça veut dire que tout coûte plus cher, mais que les salaires ne suivent pas, et que, nous, les femmes, nous nous appauvrissons. Mais, pourquoi est-ce que nous tolérons ça?

Une partie de la réponse vient du fait que l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail est un phénomène relativement récent. Donc, le marché du travail était encore pensé traditionnellement pour et par les gars.

Un autre élément de réponse, c’est que la valeur accordée par la société aux emplois traditionnellement féminins est moindre. Il n’y a pas si longtemps, l’enseignement et les soins de santé étaient prodigués quasi gratuitement par les religieuses. Notre travail d’aujourd’hui est donc perçu comme la prolongation de la vocation des religieuses d’autrefois, et non comme des professions à part entière. Les préjugés sont tenaces, ma fille, et encore aujourd’hui, les femmes peinent à faire reconnaître leur travail à sa juste valeur. Pourtant, notre professionnalisme n’est plus à démontrer! Les professionnelles en soins assument quotidiennement des tâches complexes et diversifiées, avec énormément de responsabilités et qui nécessitent une expertise et une formation reconnues par des ordres professionnels. Ce n’est pas rien, ça, ma fille!

Comparons un monteur de ligne et une infirmière auxiliaire qui ont le même niveau de formation, un DEP, et de compétences selon la Classification nationale des professions. Une infirmière auxiliaire au sommet de l’échelle salariale gagne environ 10 500 $ de moins par année qu’un monteur de ligne. Elle reçoit aussi environ 2 000 $ de moins par année que la moyenne des Québécois-es, même lorsqu’elle est au sommet de son échelle! Et pourtant, elle joue un rôle essentiel dans le réseau de la santé! Que feraient les Québécois-es sans les infirmières auxiliaires ? Encore une fois, ma fille, il n’y a pas de hasard. Il s’agit bien d’une discrimination systémique envers notre secteur d’emploi qui est composé en grande majorité de femmes.

Le gouvernement joue lui-même le jeu paternaliste, et ce, peu importe le parti au pouvoir au Québec. Le discours est toujours le même : les services publics coûtent cher et en bon père de famille, le gouvernement doit agir de « façon responsable ». Il doit réduire la taille de l’État en coupant, notamment en santé, en services sociaux et en éducation. C’est un prétexte utile pour ne pas reconnaître l’appauvrissement des professionnelles en soins et des autres travailleuses du secteur public.

Le gouvernement préfère investir dans les milieux traditionnellement plus masculins, dans le béton, plutôt que dans les forces vives des femmes. Pourtant au Québec, les femmes représentent 47,6 % de la population active et contribuent largement à la société et à la vitalité économique. Ce sera bientôt ton tour de faire partie de ces forces vives. Mais nos dirigeants considèrent encore les emplois féminins comme étant une dépense, un puits sans fond, plutôt que comme une richesse faisant grandir l’économie, surtout en période de crise.

Mais, pour pouvoir pleinement jouer son rôle social, les gouvernements doivent se soucier de nous, les femmes, ce qui ne semble pas être le cas présentement. Les décisions successives des gouvernements ont des impacts majeurs sur ma charge de travail, ma santé physique et psychologique, mon pouvoir d’achat comme pour toutes mes collègues. Tu le constates tous les jours à la maison, ma fille. Cela affecte également toute la population et particulièrement les femmes, qui sont de grandes utilisatrices de services de santé pour leurs enfants et pour elles-mêmes.

Actuellement, la population du Québec ne reçoit pas les soins auxquels elle a droit. La charge de travail toujours grandissante, les pauvres conditions de travail, le peu de reconnaissance face aux responsabilités que nous avons et, bien entendu, la non-reconnaissance salariale amènent notamment un exode des professionnelles en soins, ce qui précipite le réseau de la santé dans une impasse.

De plus, le réseau de la santé et des services sociaux profite grandement du travail invisible des femmes, mais nie cette réalité. Prenons comme exemple les proches aidantes : il n’est pas rare de voir une proche aidante s’épuiser, se rendre malade parce qu’elle occupe un emploi et s’occupe d’un proche en difficulté après ses heures de travail. D’ailleurs, plusieurs d’entre elles finissent par moins travailler et se retrouvent appauvries ou dans une situation précaire.

Encore une fois, ma fille, nous sommes en droit de nous questionner sur l’utilisation du sentiment de culpabilité des femmes et de leur dévouement pour sauver des milliards de dollars au système. Le réseau nie également le fait que la plupart de ses salariées sont elles-mêmes aux prises avec des enjeux majeurs de charge mentale. Les contraintes de l’organisation familiale demeurent bien présentes et ne se sont qu’accentuées avec la pandémie.

En bref, ma fille, moi, comme Québécoise, je contribue à notre société. Je paye des impôts pour la richesse collective des Québécois-es. Mon travail est indispensable pour notre bien-être collectif. Et pourtant, mon pouvoir d’achat ne cesse de s’amenuiser. Le gouvernement est le seul responsable de mon appauvrissement et de celui des autres femmes comme moi. Le gouvernement a le pouvoir de reconnaître les professionnelles en soins à la hauteur de notre expertise et de nos compétences. Sera-t-il le premier gouvernement à s’attaquer véritablement à l’iniquité salariale entre les hommes et les femmes au sein même de ses salarié-e-s? Sera-t-il assez courageux pour nous reconnaître à notre juste valeur?

C’est à la hauteur de ses offres salariales que nous reconnaîtrons sa réelle volonté de mettre fin à l’appauvrissement toujours grandissant des professionnelles en soins. Ayons-le à l’œil! Nous n’avons pas dit notre dernier mot.

Je me ferai entendre pour que toi, ma fille, tu n’aies pas besoin, un jour, de répéter.

Kathleen Bertrand et Caroline Gravel pour le comité Condition féminine