Comité SST

Et si c’était plus que du stress?

Depuis quelque temps, je n’ai plus le sentiment du travail accompli à la fin de ma journée de travail. Au contraire, je me sens complètement découragée et vidée. Malgré un rythme de travail effréné, je ne peux accomplir la moitié de ce que je voudrais faire pour mes patient-e-s. Je me sens à la fois stressée et coupable de ne pas pouvoir donner des soins de manière plus humaine. Mes patient-e-s ne sont tout de même pas des objets sur une chaîne de montage! Je dois remplir beaucoup de paperasse, ce qui représente du temps en moins passé auprès d’eux-elles. Je ne suis d’ailleurs pas convaincue que toutes ces annotations soient prises en considération. J’ai plutôt l’impression que mes observations et mon expertise ne servent pas à grand-chose. C’est très frustrant! De plus, bien que j’arrive chez moi totalement épuisée, je suis incapable de dormir. Il y a des jours où j’ai vraiment le goût de tout lâcher!

De toute évidence, cette professionnelle en soins présente des symptômes de détresse morale, à l’instar de plusieurs de ses collègues travaillant dans le réseau de la santé. Au bord de l’épuisement professionnel (burnout), elle risque d’abandonner son emploi et sa profession si rien n’est fait.

Définie au milieu des années 80, la détresse morale demeure un concept peu connu des professionnelles en soins et des gestionnaires. L’ampleur de ses conséquences et de ses dommages est encore aujourd’hui mal comprise. Le docteur Andrew Jameton, éthicien, a été l’un des premiers auteurs à traiter de ce sujet. Voici sa définition de la détresse morale : « La détresse morale survient quand on connaît la bonne action à poser ou la bonne chose à faire, mais que des obstacles et des contraintes organisationnelles empêchent d’agir en ce sens ».

Au nombre des contraintes imposées dans les milieux de soins, les multiples transformations organisationnelles combinées aux restrictions budgétaires arrivent en tête de liste. La pénurie de personnel soignant ainsi que ses répercussions sur la stabilité des équipes de travail et le suivi des patient-e-s, tout comme le manque de ressources matérielles et d’équipements adéquats peuvent également être pointés du doigt. Parallèlement à cela, le milieu de la santé connaît des avancées technologiques qui repoussent sans cesse les limites des interventions de soins et le recours abusif aux heures supplémentaires obligatoires augmente la fatigue ressentie par les professionnelles en soins et contribue à leur détresse.

Ainsi, la détresse morale causée par l’écart entre les idéaux, les croyances et les valeurs profondes de la professionnelle en soins et la dure réalité à laquelle elle est confrontée dans le réseau de la santé suscite des problèmes éthiques qui peuvent influer sur son moral. Par exemple, la professionnelle en soins peut éprouver de la détresse morale si elle est témoin d’acharnement thérapeutique, ou si elle doit participer à des traitements douloureux qu’elle juge inutiles ou à des traitement pratiqués de façon douteuse ou inappropriée, ou encore si elle doit cacher la vérité à des patient-e-s ou à leur famille. Quant à l’épuisement professionnel, il peut survenir lorsque les stratégies d’adaptation utilisées par la professionnelle en soins s’avèrent inefficaces et ne réussissent pas à évacuer sa détresse initiale.

En conclusion, le concept de détresse morale permet de nommer un malaise qui est encore trop souvent vécu dans le silence, alors que d’en parler fait partie des pistes de solution. Un temps d’arrêt est nécessaire. La professionnelle en soins doit prendre conscience qu’elle a les mêmes devoirs envers elle-même qu’envers ses patient-e-s, soit de chercher à préserver à tout prix sa santé et son intégrité. Quant aux gestionnaires, aux décideurs du réseau et aux ordres professionnels, ils ont la responsabilité de considérer tous les impacts de leurs décisions sur la santé, la sécurité et l’intégrité du personnel soignant. Après tout, les professionnelles en soins sont au cœur du réseau!

Note : Cet éditorial SST est largement inspiré de l’article « La détresse morale – Comprendre la détresse morale des infirmières en milieux de soins pour pouvoir mieux y faire face », rédigé par Sylvie Dorris, dans la revue Perspective Infirmière de l’OIIQ, novembre-décembre 2013, vol. 10, no 5, p.29-31. http://www.oiiq.org/sites/default/files/uploads/periodiques/Perspective/vol10no5/10-ethique.pdf

SST au courant?

L’épuisement professionnel (burnout) est un état dépressif causé par le travail. Diagnostic associé aux professions de relation d’aide (soins infirmiers, travail social, médecine, enseignement) dans les années 70, il est désormais reconnu que les travailleur-euse-s de tous les secteurs d’activités socioéconomiques peuvent en souffrir un jour ou l’autre.

La détresse morale peut affecter tant la professionnelle en soins que ses patient e-s. Ainsi, une professionnelle en soins qui éprouve de la détresse morale pourrait avoir recours au mécanisme de défense de l’évitement et réduire au minimum les contacts avec ses patient-e-s jusqu’à négliger leurs besoins de base.

La professionnelle en soins qui ne réagit pas avec compassion à sa propre détresse risque de diminuer sa capacité à répondre à la souffrance et à la détresse d’autrui.

Certaines pistes de solution peuvent être envisagées pour contrer la détresse morale. L’une d’entre elles est de réclamer de la formation pour apprendre à reconnaître les symptômes de la détresse morale et savoir appliquer des stratégies d’adaptation appropriées pour s’en défaire.

Une autre piste de solution consiste à organiser des séances régulières de verbalisation (debriefing) afin que les membres de l’équipe se réservent des moments pour exprimer leurs émotions, échanger et améliorer leur soutien mutuel, particulièrement à la suite d’une expérience moralement difficile.