Réformer la santé : mission sociale ou logique comptable?
Cet article a été publié dans la première édition du magazine La Résonance
Depuis la mise sur pied du RSSS au tournant des années 70, les réformes et orientations ont systématiquement été présentées sous l’angle de l’amélioration de l’accès aux soins. Pourtant, les mêmes problématiques ne cessent d’être décriées : pénurie de main-d’œuvre, attente aux urgences et difficultés d’accès à la première ligne. Qu’est-ce qui explique cette stagnation des enjeux?
Pour répondre à cette question, il faut en poser une autre : qu’ont en commun le virage ambulatoire du ministre Rochon et les réformes Couillard, Barrette et Dubé? Des objectifs économiques camouflés sous des promesses d’amélioration des services à la population. L’ensemble des réformes récentes dans le RSSS se sont déployées en parallèle de grandes vagues de compressions budgétaires, qui compromettent l’atteinte des objectifs d’amélioration du réseau.
En prônant la réduction du rôle de l’État au profit de l’entreprise privée et de la recherche de rentabilité, les gouvernements peinent à honorer leurs promesses d’accessibilité et d’universalité des soins. Miser sur la performance du privé en santé, c’est accepter que le profit guide les choix et les priorités ce qui, en plus de faire des laissés-pour-compte, implique une augmentation de la charge de travail qui s’accentue depuis des décennies.
Les réformes dans le RSSS seront inefficaces tant et aussi longtemps que des objectifs économiques guideront les choix de nos décideurs. Pour qu’une réforme soit bénéfique, le seul et unique objectif doit être l’accessibilité des soins.
Centralisation
La réforme Dubé est la plus grande opération de centralisation de l’histoire du RSSS. Le gouvernement prétend mettre la gestion de proximité de l’avant en embauchant des centaines de gestionnaires de proximité et en les rendant plus imputables et accessibles.
La superstructure de Santé Québec et la révision des rôles et des pouvoirs des conseils d’administration d’établissement (CAE) ont plutôt l’effet contraire. On constate un éloignement des soins par rapport à la gestion, ce qui est très préoccupant. Il est essentiel que les besoins et les enjeux du terrain soient entendus et que les instances locales aient un réel pouvoir de décision. C’est un incontournable pour que les spécificités locales soient prises en compte, mais aussi pour assurer la qualité et la sécurité des soins offerts à la population.
Privatisation
La réforme Dubé prévoit que les services soient dorénavant fournis à la population par les établissements publics et privés, sans distinction. Le gouvernement a refusé de prioriser le réseau public et de stipuler que Santé Québec est un organisme à but non lucratif.
Une évidence s’impose : la rentabilité du secteur privé dépend du piètre état du réseau public de santé et services sociaux. En effet, plus le réseau public dépérit en raison des réformes et des compressions budgétaires, plus la population et le gouvernement recourent au privé, qui apparaît alors comme un mal nécessaire. Cependant, l’imbrication du privé dans le réseau public est extrêmement coûteuse pour l’État et pour la population qui finance les services publics par les taxes et impôts. Les entreprises privées chargent plus cher pour les mêmes services, en plus d’accaparer les ressources limitées du réseau public. La solution au problème empire donc la situation initiale. C’est un cercle vicieux.
Déprofessionnalisation
Le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) mise sur ce qu’on appelle la « déprofessionnalisation » afin d’élargir le bassin de personnes disponibles pour offrir certains soins ou services. En assouplissant des règlements professionnels, le gouvernement relègue certaines activités réservées à du personnel moins formé ou même aux proches des patient-e-s.
La déprofessionnalisation des soins, c’est d’abord une dévaluation de professions à prédominance féminine. Elle entraîne une perte de sens dans l’exercice professionnel, une diminution de l’autonomie et une surcharge de travail, puisque ce sont souvent les professionnelles en soins qui doivent assumer la responsabilité des activités réalisées par ce personnel.
En misant sur la déprofessionnalisation, le gouvernement fait peser le fardeau de l’accessibilité aux soins sur les épaules des professionnelles en soins et des proches. Ainsi, il se déresponsabilise de ses obligations et cela a inévitablement des impacts sur les soins et les services offerts aux patient-e-s.
Efficacité
Le gouvernement cherche à rendre le réseau public plus « performant ». Cette vision managériale des soins repose sur des indicateurs de performance décidés par le MSSS et par Santé Québec, qui sont bien loin des préoccupations des professionnelles en soins et des patient-es. L’atteinte de ces cibles se fait d’ailleurs difficilement sans affecter la qualité et la sécurité des soins.
Ce type de gestion engendre une charge de travail additionnelle pour les professionnelles en soins, qui doivent dorénavant effectuer encore plus de tâches administratives pour satisfaire les tableaux Excel des hauts dirigeants. Occupées à montrer leur performance, elles sont alors moins disponibles pour offrir des soins.
Mais quels indicateurs permettent de mesurer le réconfort, l’écoute ou l’empathie nécessaires à une prise en charge humaine et complète? En misant sur la performance, les gouvernements invisibilisent une grande part du travail qui est pourtant essentiel au rétablissement des patientes.