La réforme du ministre de la Santé, Christian Dubé, transformera fondamentalement la gestion du réseau de la santé et des services sociaux au Québec en regroupant tous les établissements publics, excluant ceux du Grand-Nord, sous l’égide de l’agence Santé Québec. Cette nouvelle agence deviendra l’employeur unique des 350 000 employé-e-s du réseau public de la santé et des services sociaux.
La Loi sur la gouvernance du système de santé et de services sociaux (auparavant projet de loi n° 15) introduit la plus grande réforme législative depuis l’adoption du Code civil. Or, son adoption en décembre 2023 a été faite sous le bâillon, une procédure législative antidémocratique permettant au gouvernement de la CAQ d’imposer son adoption. Un processus particulièrement inquiétant considérant l’ampleur de ce projet.
Dès que le ministre Dubé a annoncé ses intentions de réformer le réseau de la santé, la Fédération a multiplié ses interventions afin d’influencer cette réforme pour les 80 000 professionnelles en soins qu’elle représente, mais également pour s’assurer de l’accès à des soins et des services de qualité et sécuritaires pour la population.
La FIQ suit depuis plusieurs mois ce dossier puisque cette réforme aura des impacts importants sur les professionnelles en soins. Pour vous aider à y voir plus clair, la Fédération met à votre disposition l’information disponible actuellement. Il est important de noter que de nombreuses incertitudes demeurent quant à la mise en place de cette réforme, notamment sur ses impacts concrets dans le quotidien des professionnelles en soins. Cette page Web sera mise à jour régulièrement pour refléter les annonces du gouvernement.
Suite logique des réformes du passé
Le réseau de la santé et des services sociaux a subi maintes réformes au cours des dernières décennies. La réforme Couillard en 2003, la réforme Barrette en 2015, et maintenant la réforme Dubé en 2024. Chacune de ces réformes a contribué à fragiliser notre réseau de la santé en fusionnant des centres d’activités à vocations variées, en centralisant davantage la prise de décision entre les mains de décideurs haut placés, en diminuant l’accès aux services de prévention et en créant une dépendance toujours plus grande envers le privé.
Le ministre Christian Dubé n’est pas différent de ses prédécesseurs; l’agence Santé Québec s’inscrit dans une suite logique des réformes du passé. Nous assistons à l’aboutissement des grandes réformes antérieures imposées dans le réseau de la santé. Pourtant, il ne fait aucun doute que ces dernières n’ont ni amélioré les conditions de travail des professionnelles en soins ni les conditions des soins au Québec.
La réforme Dubé en bref
La réforme Dubé a permis la création de l’agence Santé Québec, le 29 avril 2024. Cette société d’État sera l’employeur de 350 000 salarié-e-s du réseau de la santé au Québec, devenant ainsi l’un des plus gros employeurs au Canada, juste derrière le gouvernement fédéral. La création de cet employeur unique va engendrer la fusion des établissements, donc des employeurs, mais l’organisation du territoire devrait continuer d’exister, sous forme de sous-structure de Santé Québec. Les établissements privés conventionnés et les établissements du Grand-Nord ne sont pas touchés par cette fusion.
L’agence Santé Québec aura également le pouvoir de coordonner et de soutenir des établissements privés et autres prestataires, éliminant ainsi toute distinction entre le public et le privé. Ceci représente un virage important et dangereux. En effet, selon le ministre Christian Dubé, l’objectif d’ouvrir l’offre de services au privé est d’améliorer l’accès aux soins, mais il est bien connu que l’ouverture vers le privé a plutôt l’effet inverse en s’accaparant les ressources limitées du réseau public. C’est dans cette optique que la FIQ se joint en 2023 à la campagne « La réforme Dubé, tout sauf santé », campagne portée par plusieurs organisations syndicales et communautaires.
Cette agence est séparée du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et a pour mission de coordonner les activités sur le terrain, laissant le MSSS responsable uniquement des orientations politiques et des programmes, permettant ainsi une forme de déresponsabilisation du ministère envers les employé-e-s du réseau.
Des changements sont nécessaires dans le réseau de la santé du Québec, mais il est clair pour la FIQ que cette réforme de structure ne répond pas aux besoins les plus criants. Plusieurs recommandations avaient été émises par la société civile et par la Fédération pour recadrer cette réforme dans les besoins du réseau, les 30 recommandations de la FIQ n’ont pas été considérées par le ministre Dubé. Ainsi, la FIQ et ses syndicats affiliés continueront de dénoncer cette réforme qui s’inscrit dans la lancée antiféministe, antidémocratique et antisyndicale du gouvernement actuel.
Mis à part la création de Santé Québec, cette réforme s’inscrit dans trois autres axes principaux :
Le ministre Christian Dubé prétend mettre la gestion de proximité de l’avant dans sa réforme en rendant les gestionnaires plus imputables et plus accessibles.
La superstructure de Santé Québec et la révision de la composition des conseils d’administration laissent plutôt présager du contraire. En effet, les professionnelles en soins et les patient-e-s seront moins représenté-e-s dans ces instances décisionnelles au profit du milieu des affaires. Cet éloignement des soins par rapport à la gestion représente une grande préoccupation pour la FIQ. Il est essentiel que les besoins et les enjeux du terrain soient entendus afin de garantir une adaptation aux spécificités locales, mais aussi la qualité et la sécurité des soins pour la population.
Cette réforme laisse présager une standardisation des soins et des pratiques de gestion et la FIQ craint que les gestionnaires soient malheureusement peu imputables.
Le gouvernement prévoit que les services soient dorénavant fournis à la population par les établissements publics et privés, sans distinction. Le ministre Dubé a refusé de prioriser le réseau public et de stipuler que Santé Québec sera un organisme à but non lucratif. Cela pourrait mettre à risque la préservation du réseau public, accessible et universel au Québec.
Aucune donnée ne démontre que le privé améliore l’accès aux soins de santé, mais il est bien documenté que l’imbrication du privé dans le réseau public sera extrêmement coûteuse pour l’État et pour la population qui finance les services publics par les taxes et impôts. Les entreprises privées chargent plus cher pour les mêmes services offerts dans les services publics, en plus d’accaparer les ressources limitées du réseau public.
La continuité des soins risque également d’être affectée par la normalisation du transfert routinier des patient-e-s entre les établissements publics et privés et, possiblement, entre les différentes régions.
L’expérience patient-e repose sur la gestion des plaintes et des risques et la surveillance de la qualité des services en utilisant des sondages de satisfaction. Un registre national des incidents et des accidents sera créé et un comité national des usager-ère-s sera responsable d’évaluer l’expérience patient-e. L’ensemble de ces outils permettra de classer les établissements selon la qualité des soins qu’ils offrent.
Nombre de ces initiatives sont bienvenues, mais au-delà de l’expérience patient-e, il est nécessaire d’ajouter des indicateurs de soins mesurés par les professionnelles en soins, ainsi que des ratios sécuritaires professionnelles en soins/patient-e-s pour favoriser l’accès, la qualité et la sécurité des soins.
Les impacts sur les droits des professionnelles en soins
La réforme Dubé a des impacts importants sur les droits des professionnelles en soins, notamment en lien avec la défense de leurs conditions de travail. En fusionnant les établissements de santé en un seul employeur, la loi prévoit la fusion des accréditations syndicales existantes et une accréditation unique pour chacune des 6 catégories d’emploi qui composent le réseau de la santé. Ainsi, à moyen terme, les syndicats locaux sont voués à disparaître, démantelant les structures actuelles et posant des défis importants pour la démocratie syndicale.
Voici une ligne du temps détaillant les grandes étapes de la mise en place de Santé Québec qui auront des impacts sur la défense des conditions de travail des professionnelles en soins. À noter que les dates projetées sont approximatives et pourraient être modifiées à tout moment par le gouvernement.
1erdécembre 2024
Fusion administrative des employeurs
Santé Québec devient l’employeur de près de la totalité des employé-e-s de la santé. Les unités d’accréditations syndicales continuent d’exister et les conventions collectives nationales et locales, continuent de s’appliquer jusqu’à ce qu’elles soient renégociées
Automne 2025 à hiver 2026
Période de vote d’allégeance syndicale
Une période de vote d’allégeance syndicale est prévue pour les membres des six nouvelles catégories d’emplois. Chacune d’elles devra choisir l’organisation syndicale qui les représentera à la grandeur du Québec.
Hiver 2026
Accréditation des nouveaux syndicats et fusion des accréditation
Le Tribunal administratif du travail (TAT) accrédite le syndicat ayant obtenu le plus de votes dans chacune des catégories pour représenter l’ensemble des membres de cette catégorie. C’est la fusion des unités d’accréditation syndicale, mais les conventions collectives continuent de s’appliquer telle quel pour un délai de 18 mois, jusqu’à ce qu’elles soient renégociées.
Hiver 2026 à été 2027
Négociation de la convention collective « locale »
Le syndicat nouvellement accrédité négocie avec l’agence Santé Québec une convention collective « locale » unique pour l’ensemble des établissements
Automne 2027
Fusion des listes d’ancienneté
Les listes d’ancienneté de l’ensemble des membres des établissements publics d’une même catégorie d’emploi sont fusionnées au sein de Santé Québec. C’est à ce moment que l’on pourra parler d’une réelle « ancienneté réseau ».
De 4 à 6 catégories d’emplois
Avec la réforme Dubé, les catégories d’emplois dans le réseau de la santé sont modifiées. La catégorie 1 regroupera exclusivement les infirmières et infirmières auxiliaires. Les inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques seront quant à elles regroupées avec les techniciennes et professionnelles de soutien spécialisé et en soins cardiorespiratoires dans la catégorie 6. Cela inclut, par exemple, l’imagerie médicale et la radio-oncologie.
Le gouvernement a décidé de scinder la catégorie 1, même si les infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques ont une expertise et une organisation du travail complémentaire dans les soins directs donnés aux patient-e-s. Cette scission nuira inévitablement à l’organisation du travail et à la stabilité des équipes.
La FIQ n’a ménagé aucun effort pour faire reculer le ministre Dubé pour maintenir la catégorie 1 dans sa forme actuelle et continuera à militer en ce sens. Une pétition a d’ailleurs été déposée à l’Assemblée nationale. Cependant, si le transfert vers la catégorie 6 se concrétise tel que prévu dans la loi, la FIQ fera partie des organisations syndicales qui pourront s’inscrire sur le bulletin de vote pour cette catégorie. Ultimement, ce sont les membres qui voteront pour l’organisation syndicale de leur choix.
Foire aux questions
Non. Le projet de loi créant Santé Québec a été adopté sous le bâillon le 9 décembre 2023. Il ne s’agit donc plus d’un projet de loi, mais plutôt d’une loi qui est en vigueur et l’échéancier du déploiement de l’agence Santé Québec suit son cours.
Non. L’agence Santé Québec a été créée le 29 avril 2024 par la nomination de Geneviève Biron à titre de présidente et cheffe de la direction (PCD) et de Frédéric Abergel à titre de vice-président exécutif aux opérations et à la transformation. Il n’est donc pas possible de bloquer sa création.
Le ministre de la Santé, Christian Dubé, et Sonia LeBel, présidente du Conseil du trésor, ont à maintes reprises répété que la mobilité des professionnelles en soins est essentielle pour améliorer l’accès aux soins au Québec. Pourtant, plusieurs études et recherches démontrent que la stabilité des soins et la valorisation de l’expertise des professionnelles en soins sont essentielles pour assurer la qualité des soins.
La FIQ s’attelle depuis plusieurs mois à comprendre les besoins des employeurs en lien avec la mobilité pour pouvoir proposer des solutions adaptées qui respectent les droits des professionnelles en soins et qui assurent la qualité des soins offerts à la population.
La FIQ milite activement pour le maintien des inhalothérapeutes et des perfusionnistes cliniques dans la catégorie 1. Cependant, si le transfert vers la catégorie 6 se concrétise tel que prévu dans la loi, la FIQ fera partie des organisations syndicales qui pourront s’inscrire sur le bulletin de vote pour cette catégorie. Ultimement, ce sont les membres qui voteront pour l’organisation syndicale de leur choix.
À compter du 1er décembre, les CIUSSS, les CISSS et les établissements non fusionnés deviendront des établissements territoriaux sous la responsabilité de Santé Québec. Cette directive n’a, pour le moment, aucun impact sur vos conditions de travail, y compris sur votre ancienneté. En effet, la fusion des établissements en un seul employeur n’entraîne pas la mise en place immédiate d’une ancienneté réseau. Selon l’échéancier actuel, la fusion des listes d’ancienneté est prévue pour l’automne 2027. C’est à ce moment-là que l’ancienneté accumulée sera transférable à l’ensemble du réseau.
Comment seront gérés la confection des horaires, les services de paie et les avantages sociaux dans la nouvelle structure de Santé Québec? Il n’est pas possible de répondre à ces questions avec les informations actuellement disponibles, mais il faut inévitablement s’attendre à des changements et à une standardisation des modes de gestion des différents établissements. Soyez certaines que la FIQ demeure active pour obtenir des réponses sur ces questions et qu’elle utilisera toutes les tribunes pour représenter ses membres.
La négociation actuelle vise à convenir des dispositions nationales de la convention collective. Ces modalités, une fois adoptées par les membres, vont continuer de s’appliquer jusqu’à ce qu’elles soient renégociées par les parties (jusqu’en 2028), et ce, même après la mise en place de Santé Québec.
Ainsi, même si les inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques changent de catégorie et de syndicat, la convention collective nationale négociée actuellement continuera de s’appliquer à elles minimalement jusqu’en 2028.
De nombreuses organisations féministes, dont la FIQ, ont dénoncé la réforme Dubé comme étant antiféministe. En effet, ce sont les femmes qui seront le plus touchées par les effets négatifs de cette réforme. Autant comme salariées puisque la réforme ne s’attaque pas aux mauvaises conditions de travail des professionnelles en soins, que comme proche-aidantes et comme usagères qui seront les premières touchées par les manquements flagrants du réseau dans la dispensation des soins.
Une lettre ouverte a d’ailleurs été publiée pour dénoncer l’exploitation du travail des femmes dans cette réforme.
Depuis 2005, avec la réforme Couillard, la négociation des conditions de travail des professionnelles en soins s’effectue à deux niveaux : la négociation locale qui exclue les modalités à incidence monétaires qui elles sont réservées à la négociation nationale. Elle inclut, par exemple, les notions de centre d’activités et de déplacement, l’affichage et les éléments constituants des postes, les horaires, les congés et les vacances. Avec la réforme actuelle, la convention « locale » sera unique pour l’ensemble des établissements publics de santé et de services sociaux de la province, excluant ceux du Grand-Nord. Cette convention n’aura de local que le nom et c’est pourquoi la FIQ demande que ces matières soient réintégrées dans la négociation nationale.
L’encadrement juridique de la négociation locale est bien différent de celui de la négociation nationale et implique un rapport de force nettement défavorable pour les travailleuses et la partie syndicale. Par exemple, le droit de grève est interdit dans le cadre de la négociation locale.
Ainsi, il est possible de penser que le gouvernement souhaite profiter de ce cadre juridique différent, et ce, même si cela engendre une incohérence importante. Il est certainement curieux de qualifier cette convention collective de « locale », alors qu’elle sera applicable et unique pour l’ensemble des membres des établissements publics de santé et de services sociaux de la province, hormis ceux du Grand-Nord québécois.
C’est pourquoi la FIQ dénonce cet opportunisme antisyndical et demande que ces matières soient réintégrées dans la négociation nationale.