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FIQ (Fédération Interprofessionnelle de la santé du Québec)

Groupe Castonguay — Un processus biaisé et antidémocratique

Lettre ouverte publiée dans Le Devoir, édition du samedi 2 et du dimanche 3 juin 2007

Lina Bonamie, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec  — FIQ

Lors de la sortie du dernier budget fort controversé du gouvernement libéral, la nomination de Claude Castonguay à la tête d’un groupe de travail ayant pour mandat de soumettre des recommandations sur le financement de la santé a fait la manchette. Si quelques acteurs comme la Coalition Solidarité Santé ou certains journalistes se sont montrés critiques à l’égard de cette nomination, personne n’a encore demandé l’abolition de cette proposition incluse dans le budget.

Pour bien mesurer la teneur des recommandations qui seront traduites en plan d’action par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard, il y a tout lieu de s’interroger sur la façon dont procède le gouvernement pour traiter de cette question fondamentale ainsi que sur le profil des personnes nommées.

Dès le début de son précédent mandat, le gouvernement libéral a tracé une ligne claire en ce qui concerne les services publics et, notamment, la santé : « réduire nos dépenses » et « conjuguer les ressources publiques avec celles du secteur privé ». Cette orientation s’est illustrée par une série de mesures législatives qui ont permis de faire entrer officiellement le secteur privé dans le système de santé québécois : réseaux locaux de services, partenariats avec le secteur privé, cliniques médicales associées et assurance privée duplicative.

Grâce au jugement Chaoulli, la volonté du gouvernement libéral de privatiser a pu être imposée malgré la contestation. Par ailleurs, l’absence d’unanimité à l’égard des conclusions du Comité de travail sur la pérennité du système de santé et de services sociaux du Québec, présidé par Jacques Ménard de MBO Groupe financier, avait donné lieu à une réaction dissidente de certains participants du comité. Les visées du rapport Ménard étaient à peine dissimulées: « les gens d’affaires sont intéressés à investir […].Ce qu’ils demandent en échange? Un nombre d’actes garantis chaque année à tarif négocié avec le gouvernement ».

En février 2006, le ministre de la Santé et des Services sociaux a amené le débat sur certaines des propositions du rapport Ménard, dont le rehaussement des transferts fédéraux, l’instauration d’un compte santé et la création d’un régime contre la perte d’autonomie. Les deux dernières propositions n’ont pas fait l’unanimité en commission parlementaire et la plupart des intervenants réclamaient un vaste débat public et démocratique sur le financement du système de santé et de services sociaux, ce qu’avait d’ailleurs promis le ministre.

À notre grande surprise et à la lumière de l’historique des débats au sujet du financement de la santé, le gouvernement nomme encore un groupe de travail restreint, dont le mandat est fortement inspiré d’un rapport déjà déposé par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) en mai 2007, alors que le ministre de la Santé et des Services sociaux laissait entendre que la question méritait une réflexion soutenue et partagée par les différents acteurs concernés. Faut-il penser que les réponses sont déjà écrites avant même que le groupe n’ait été formé?

Quoi qu’on en dise, M. Castonguay a perdu la foi envers le système public. Les conclusions du rapport du CIRANO dont il est signataire sont limpides : la privatisation des services de santé et services sociaux et le principe de l’utilisateur payeur sont mis en avant. M. Castonguay est intervenu dans ce sens en mai 2006, accompagné de sa fille Joanne, économiste, lors de la consultation publique sur le livre blanc « Garantir l’accès : un défi d’équité, d’efficience et de qualité ». D’ailleurs, le ministre Philippe Couillard s’était chargé de rappeler à M. Castonguay que lier la contribution financière au niveau de consommation de services revenait à transférer « de facto une partie du financement de la santé sur les couches les plus défavorisées de la société ». Constat corroboré par de nombreuses études, dont l’une du Commonwealth, datant de 2004, qui concluait que les coûts des soins avaient un impact sur l’accessibilité des services.

En outre, M. Castonguay désire s’associer dans sa démarche à Michel Clair, également ancien ministre, mais surtout actuel président et chef de la direction du Groupe Santé Sedna. Cette entreprise vend des services d’hébergement et de soins de longue durée, des services à domicile, des soins infirmiers, gère des hôpitaux en Amérique latine et des résidences pour personnes âgées. Son plan stratégique 2004-07 s’appuie sur trois grands axes prioritaires de développement : l’hébergement et les soins de longue durée, les soins infirmiers et les soins d’assistance et, finalement, les services médicaux et les soins spécialisés. Ces axes font également partie des priorités du gouvernement.

Pour sa part, M. Castonguay a agi pendant plus de dix ans en tant que président de la Laurentian Capital Corporation (dont les activités incluent la couverture d’assurance), a été consultant en matière de services de santé et d’affaires professionnelles, a siégé aux conseils d’administration d’entreprises œuvrant dans le secteur informatique (ISACSOFT) et dans la fabrication de matériel médical (Andromed).

Il est clair que ni M. Castonguay ni M. Clair ne possèdent la neutralité nécessaire pour s’acquitter de façon éthique et démocratique de cette tâche. Est-il acceptable que ces personnes qui œuvrent dans l’entreprise privée soient aussi intimement liées à des décisions politiques et publiques qui concernent d’aussi près les intérêts financiers des entreprises dans lesquelles elles œuvrent? Elles sont toutes deux en conflit d’intérêts flagrant.

En toute logique, ce mandat devrait être donné au Commissaire à la santé, nommé par le ministre, puisque son rôle est d’apprécier, de consulter, d’informer et de faire des recommandations au ministre sur toutes les grandes questions relatives à la santé et aux services sociaux, y compris le financement.

Le secteur privé invoque le monopole de l’État quand il s’agit de livrer des services à la population. Nous croyons plutôt que l’État devrait pouvoir jouir de la neutralité nécessaire au maintien des infrastructures publiques et des services nécessaires à la population. Nous voyons mal de quelle façon une telle intrusion du secteur privé, à tous les niveaux, pourra nous assurer collectivement que les dimensions éthiques et sociales seront prises en considération dans les décisions relatives à la santé publique.

Nous demandons au gouvernement libéral de se raviser et de permettre aux Québécois-es de décider collectivement de l’avenir de leur système de santé. Public ou privé, ce n’est pas à M. Castonguay ni à M. Clair que revient la légitimité d’une telle décision.