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FIQ (Fédération Interprofessionnelle de la santé du Québec)

Le droit à l’avortement : laissez mon utérus tranquille!

Le droit à l’avortement : laissez mon utérus tranquille!

« Forcer une femme, sous la menace de sanction criminelle, à mener le fœtus à terme (…) est une ingérence profonde à l’égard de son corps et donc une atteinte à la sécurité de sa personne » (Décision Morgentaler, 1988). Pourquoi encore aujourd’hui en 2022, l’accès à l’avortement est un enjeu important et crucial pour le droit des femmes, alors qu’il est complètement décriminalisé depuis 1988 au Canada?

Chaque année, c’est plus de 20 millions d’avortements dans le monde qui se font dans des conditions risquées pour les femmes. Que ce soit par la pratique d’auto-avortement ou d’avortement clandestins, cinq millions de femmes se retrouvent hospitalisées par suite de complications. Parmi ces femmes, environ 47 000 vont en mourir. Il n’est donc pas exagéré de dire que d’empêcher les femmes et les jeunes filles d’exercer leur libre choix met en péril leur santé physique et mentale ainsi que leur sécurité.

Pour les femmes, le libre choix de poursuivre ou non une grossesse est propre à chacune : mon utérus, mon choix. C’est une question d’égalité, de dignité, de liberté et de droit. Suite à un choix réfléchi, la majorité des femmes qui décident d’interrompre leur grossesse vivent bien avec cette décision. Elles ont ainsi évalué leur capacité de prendre soin d’un enfant à ce moment précis de leur vie. Elles ont le droit de choisir. En cas inverse, le fait d’être forcée à poursuivre une grossesse peut entraîner une détresse psychologique chez la mère ainsi que chez l’enfant.

Contrairement à ce qu’affirment les opposants au droit à l’avortement, l’accès au service ne constitue pas un incitatif pour les femmes à avoir recours à cette procédure, et n’a pas d’incidence sur le taux de natalité, selon des études. Prenons l’exemple des Pays Bas où les services d’avortements sont très accessibles et on y note le taux le plus faible au monde pour le nombre d’avortements.

Les professionnelles en soins ont un rôle à jouer dans l’information, l’éducation, l’accès et le processus d’un avortement

Leur rôle est important en ce qui concerne la planification des naissances, incluant les services d’interruption de grossesse, et elles contribuent à ce que les services soient adaptés selon les besoins de leurs patientes. Pour les professionnelles en soins, il est également important de donner accès aux femmes qui pourraient en avoir besoin, et ce, dans toutes les régions du Québec. L’accès à des services adaptés pour leur permettre d’interrompre ou de poursuivre leur grossesse, selon leur volonté, doit être assuré.

À titre d’exemple, en ce qui a trait plus généralement à la planification des naissances, des infirmières ont comme rôle de diffuser de l’information et de renseigner les femmes pour qu’elles puissent échanger sur leurs préoccupations et sur les différentes méthodes de contraception, et ainsi prendre une décision éclairée. Il est aussi possible pour des infirmières, selon certaines conditions, de prescrire la contraception hormonale, un stérilet ou la contraception orale d’urgence. Elles peuvent aussi informer leurs patientes sur les différentes ressources disponibles si celles-ci voudraient procéder à un avortement. Les professionnelles en soins peuvent aussi être appelées à soutenir ces femmes dans leurs démarches et ainsi faciliter l’accès à l’avortement. Lors de l’avortement, les professionnelles en soins accompagnent la personne, avant, pendant et après l’intervention, et en apportant un soutien psychologique et un soutien clinique. Par exemple, des infirmières pratiquant dans le domaine peuvent évaluer l’état de santé de la patiente avant l’intervention. Ces professionnelles peuvent également assurer la surveillance et le suivi requis pendant et après le processus, et ce, de concert avec les autres membres de l’équipe de soins.

Historique : la FIQ face à cet enjeu

En raison du rôle des professionnelles en soins dans l’accessibilité aux soins de planning familial, la FIQ (à l’époque FIIQ) a été avant-gardiste. Dès 1987, alors que l’avortement est encore considéré criminel dans la majorité des contextes, 900 déléguées ont voté en faveur du droit des femmes à exercer leur libre choix et ont mandaté le comité Condition Féminine de se pencher sur la question. Elles donnaient alors leur appui à deux recommandations;

  • Offrir l’accès pour toutes les femmes à des services complets et gratuits.
  • Rendre l’avortement non criminel par l’abrogation des articles 251 et 252 du Code criminel canadien.

En 1988, le comité Condition Féminine produit une brochure portant sur l’avortement qui avait pour titre « Les infirmières face à l’avortement » afin de susciter des réflexions et des discussions. Cette brochure paraît au même moment que le projet de loi C-43. Le comité est donc invité à envoyer des cartes postales aux trois chefs des partis fédéraux de l’époque soit Bryan Mulroney (Parti Conservateur), John Turner (Parti libéral) ainsi que Ed Broadbent (Nouveau Parti Démocratique).

Dans les années qui ont suivi et jusqu’à aujourd’hui, la Fédération est engagée dans la lutte pour la santé des femmes que ce soit à l’intérieur de la Coalition sur la santé reproductive et au sein du Comité de veille sur le droit à l’avortement, par exemple.

Face à l’avortement, comment se distingue le Canada par rapport aux États-Unis? 

L’actualité politique chez nos voisins du sud où la Cour Suprême a annulé l’arrêt Roe contre Wade de 1973, nous force à nous questionner sur la situation au Canada. Pour les Américaines, la fin de l’arrêt Roe contre Wade veut dire que l’avortement n’est plus un droit protégé par le gouvernement fédéral. Chaque état sera donc libre de l’interdire ou de l’autoriser. Cela menace donc les droits des femmes et marque un retour en arrière de 50 ans. En effet, ce sont 26 états qui seront susceptibles d’interdire l’avortement, dont plusieurs en toutes circonstances. Suite à cette annonce, plusieurs manifestations ont eu lieu aux États-Unis ainsi qu’ici, au Canada. Les femmes revendiquent d’être en mesure de prendre elles-mêmes la décision et dénoncent l’impact important que cela aura sur la santé des femmes, notamment avec la hausse appréhendée des dangereux avortements clandestins.

Au Canada, le droit à l’avortement est protégé par quatre décisions judiciaires qui sont fondées sur le droit à l’égalité, le droit à la sécurité et le droit à la liberté. Ces droits sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés. Le code criminel est le même pour chaque province du Canada ce qui ferait qu’une disparité entre provinces est impossible sur la légalité de l’avortement. Toutefois, bien qu’il soit considéré comme un acte légal, l’accessibilité reste difficile pour certaines femmes dans plusieurs régions. À ce niveau, une grande disparité existe et le Canada et ses provinces peuvent faire mieux, beaucoup mieux.

Nous ne sommes malheureusement pas à l’abri des mouvements anti-choix qui voudrait limiter l’accès, voire révoquer le droit à l’avortement. Le renversement de la décision du procès de Roe contre Wade pourrait galvaniser ces mouvements de notre côté de la frontière. C’est, entre autres, pour cette raison que les Canadiennes doivent encore et toujours répéter :

Laissez mon utérus tranquille!

Valérie Fortier
Comité Condition féminine